Autorité et Leadership : les clés de l’alchimie

La question de l’autorité et du leadership est ce que l’on appelle un « marronnier » dans la presse : elle revient régulièrement dans l’actualité, sous l’angle notamment de la « perte d’autorité » – que ce soit celle des parents, des enseignants, des institutions traditionnelles – et, bien sûr, du leadership en entreprise.

Mais est-ce une remise en cause générale de l’idée même d’autorité ou plutôt de certaines de ses formes, de certaines de ses manifestations ou dérives ? Autorité, pouvoir et influence sont des concepts proches, qu’il faut néanmoins savoir distinguer et préciser pour mieux appréhender la notion globale de Leadership.

L’autorité peut parfois déraper, avoir des pathologies, les nombreux cas de harcèlement au travail en sont le pire exemple, avec parfois des conséquences désastreuses.

Un manque d’autorité (absence totale ou faiblesse) de celui qui en a la charge peut aussi comporter des risques, générer de l’insécurité. Par ailleurs, la Nature ayant horreur du vide, la fonction ainsi libérée peut être comblée par des personnes illégitimes pouvant en abuser.

Pour un leader en position d’autorité, il s’agira de développer et d’incarner celle-ci de manière saine et au service du groupe qu’il dirige.

Ainsi, définir et clarifier l’importance de l’autorité dans les relations professionnelles permettra de construire une autorité légitime, crédible et donc davantage reconnue et acceptée.

Autorité et Leadership, des concepts interconnectés.

Les romains distinguaient deux aspects fondamentaux dans l’exercice du pouvoir et de l’influence :

  • La « Potestas», qui correspond à l’autorité statutaire, au pouvoir légal établi et légitimé par le droit, par une règle ou par la loi. Cette forme de pouvoir permet aussi de faire prévaloir son opinion, d’imposer sa propre volonté, voire de forcer à l’obéissance par la contrainte.
  • L’« Auctoritas», qui est une autorité personnelle, une capacité d’influence de l’individu. La crédibilité de cette forme d’autorité passe alors par la connaissance, le savoir-faire, l’exemplarité et la cohérence de la personne qui en est porteuse. Elle s’établit principalement par la relation, la communication et des interactions basées sur le respect mutuel.

Bien sûr, la Potestas et l’Auctoritas peuvent exister l’une sans l’autre, mais la combinaison des deux est souvent avantageuse.

Le terme « Auctoritas » vient d’un autre mot latin, « Augere », qui signifie « faire croître », augmenter ». Le mot « auteur » dérive d’ailleurs de cette racine, au sens de faire croître la connaissance en la partageant.

Ainsi l’autorité, au sens étymologique, est un vecteur de la transmission qui permet de capitaliser la connaissance, de l’enraciner à travers les générations et de garantir ainsi son existence dans un temps long. Si cette forme d’autorité s’inscrit dans la durée, elle est néanmoins détenue de manière temporaire et a pour vocation d’être transmise.

L’autorité ne se confond donc pas avec le pouvoir par la domination, la violence ou la contrainte. L’autorité donne une légitimité au pouvoir statutaire. Elle en fait un pouvoir légitime et accepté par tous, basé sur le respect de celui qui la possède.

L’autorité n’a pas besoin non plus de chercher à « convaincre » par des arguments ou à « persuader » en jouant sur les émotions. Quand l’autorité est présente et reconnue, elle inspire confiance.

L’autorité au service du collectif

En entreprise, l’autorité est principalement « asymétrique », elle correspond à une position dans la hiérarchie. Directeur général, chef de service ou responsable de projet, la personne en situation d’autorité a une responsabilité plus importante et un pouvoir de décision accru.

Mais pour que l’autorité inspire le respect et suscite la coopération, elle doit avant tout reposer sur la compétence et l’expérience de la personne dans son rôle, sa mission. La véritable autorité est celle qui est validée par les autres (collaborateurs, équipiers) et ce privilège est accordé parce qu’ils sont conscients que la personne en position d’autorité va les aider dans leurs propres missions, les faire progresser, les guider vers davantage d’autonomie. C’est une transaction gagnant-gagnant.

L’autorité est un élément de stabilité et de croissance pour le groupe. En plus d’être le garant des règles communes, elle a aussi pour mission d’engendrer (des projets, des comportements…), de conserver (une histoire et une identité collective, un mode de fonctionnement…) et de se projeter (vers l’avenir, des buts collectifs, de nouveaux savoir-faire…).

Les pathologies de l’autorité

L’autorité saine rassure, protège et fédère, là où « l’autoritarisme » (recours à la force, à la contrainte) insécurise et crée des comportements de soumission ou de rébellion. L’autorité est par définition le contraire du harcèlement qui emprisonne et rend dépendant.

Là où l’autorité fait défaut, la place est justement laissée à l’émergence de comportements autoritaires, de harcèlement et de violence (psychologique, morale, institutionnelle).

Certains managers en position d’autorité ont des profils de pervers et/ou de paranoïaques. Leur désir de contrôle et de domination les amène à établir des relations toxiques avec leurs collaborateurs.  Par leur attitude, ils cherchent à les soumettre, à les humilier, à les déstabiliser, à leur faire perdre confiance en eux afin de pouvoir leur faire des reproches et les insécuriser davantage encore. Leur management est basé sur la peur. Ils utilisent aussi l’antique méthode consistant à « diviser pour mieux régner », essayant de créer des scissions au sein du groupe, de détourner le stress et la colère vers des boucs émissaires, d’accorder des privilèges injustifiés à certains, de créer des jalousies, etc. Ceci afin de créer de l’isolement et d’éviter des réactions de défense collective.

Il est souvent difficile, pour les personnes ainsi sous le joug de leur bourreau, de se sortir du piège. La peur d’être ostracisées, mises à l’écart, ou même licenciées, génère une réaction d’obéissance, de « soumission à l’autorité » (qui n’en est pas vraiment une selon notre définition de départ).

A contrario, certaines personnes vont se rebeller face à cet abus de pouvoir. Mais, sauf cas exceptionnels, ce sont celles contre qui l’autorité défaillante va mener sa bataille, pour éradiquer toute velléité de révolte au sein du groupe. Être rebelle face à un pouvoir dysfonctionnel est certainement une posture juste mais qui comporte aussi des désagréments quand le rapport de force est trop déséquilibré.

L’autre grande pathologie de l’autorité réside dans le refus de l’exercer, ce qu’on nomme aussi le laxisme. Un leader sans autorité perd rapidement sa qualité de leader. Cela est vu comme un rejet de sa responsabilité et de son rôle. Pour un groupe, cela est très insécurisant et peut même aller jusqu’à l’autodestruction du groupe en question (démotivation, désengagement, démission des collaborateurs). Très vite, d’autres leaders peuvent apparaitre, pour combler le vide, totalement ou partiellement. Des batailles d’egos peuvent se mettre en place, des « coups d’Etat » se fomenter, etc. La situation peut vite devenir chaotique et anxiogène.

Dans le meilleur des cas, au sein d’une équipe autonome et expérimentée, les personnes vont naturellement se répartir le leadership pour pallier l’absence ou la défaillance de la personne qui en a officiellement le rôle. Mais c’est un pari risqué.

Les 3 piliers de l’autorité

En résumé, on peut envisager l’autorité managériale reposant sur 3 piliers qui se renforcent mutuellement :

  • L’autorité statutaire, celle sur laquelle les hiérarchies et organigrammes sont structurés. Elle correspond au pouvoir légal de contrainte, de récompense ou de sanction (la « Potestas »). Le dépositaire de cette autorité représente l’institution, on peut dire en quelque sorte qu’il « EST » l’autorité légitime.
  • L’autorité de compétence, qui repose davantage sur les connaissances, l’expérience, les réalisations, les résultats obtenus et l’exemplarité. On dit alors que la personne « FAIT » autorité dans son domaine ou son rôle. En cela, elle inspire confiance car elle est crédible. Cette forme d’autorité agit comme un modèle, une référence.
  • L’autorité personnelle, qui correspond davantage à une capacité d’influence. La crédibilité passe par la cohérence de la personne (valeurs affichées, paroles, actes). Elle s’établit par la relation, la communication, les interactions basées sur le respect mutuel, les qualités d’écoute et d’expression (« l’éloquence »). La personne qui possède cette forme d’autorité « naturelle » et personnelle le doit aussi à sa confiance en soi et ses capacités d’affirmation, d’assertivité. Une autorité respectueuse et reconnue peut générer de l’estime, de la considération, de la bienveillance. Une relation basée sur le respect mutuel peut faire naître cette autorité personnelle.

Si un leader n’a que l’autorité statutaire, sans les deux autres, ses collaborateurs pourront bien sûr respecter ses consignes et directives, par conscience professionnelle et respect de la hiérarchie, mais ce leader ne sera pas vraiment reconnu en tant que tel, il risque de n’être vu que comme un « chef ».

Si un leader a une forte autorité naturelle (sympathique, à l’écoute, éloquent, confiant…) mais que ses collaborateurs s’aperçoivent qu’il n’est pas compétent dans son rôle (ne sait pas vraiment de quoi il parle, ne sait pas répondre aux questions, est mal organisé, n’apporte aucune plus-value…), alors ils risquent de considérer son attitude comme de l’esbrouffe, une sorte de « coquille vide ».

Enfin, le leader qui fait reposer uniquement son leadership sur l’autorité de compétence a davantage de chance de réussir à inspirer le respect. Néanmoins, dans les organisations où l’organigramme est important (grandes entreprises, fonction publique), le manque d’autorité statutaire risque d’être un frein à la légitimité. Il s’agira alors pour sa hiérarchie de repérer assez vite ses qualités de leadership et de lui donner un statut qui correspond, pour assoir davantage son autorité en la légitimant.

De plus, si le socle de compétences dans son rôle est présent, les qualités inhérentes à l’autorité « personnelle » (confiance en soi, écoute, affirmation, expression orale…) peuvent se développer et se renforcer, grâce à des formations en management, par l’expérience acquise et au fur et à mesure des résultats obtenus.

le leadership s'appuie sur les 3 piliers de l'autorité : la légitimité, la crédibilité et l'assertivité

Le Leadership s’appuie sur les 3 piliers de l’autorité

Pour construire son autorité, le leader œuvre à unifier le groupe autour d’un projet commun, il suscite l’adhésion, l’engagement et la coopération. Son but est de rassembler et non de « diviser pour mieux régner ». La cohésion du groupe est considérée comme un atout et il ne craint pas qu’elle se fasse contre lui puisqu’il fait intrinsèquement partie du groupe qu’il pilote. Son autorité sert à activer le potentiel des individus et à mobiliser l’énergie collective vers des buts connus et partagés. Il utilise son pouvoir d’influence pour orienter les désirs et compétences de chacun vers la satisfaction d’idéaux motivants et collectifs.

Il fonde son autorité sur cette synthèse des énergies du groupe. Pour cela, il consulte, concerte, écoute, donne des directives claires et favorise l’autonomie et la créativité dans la recherche de stratégies et de solutions.

La diversité et la complémentarité des profils au sein d’une équipe est considérée comme un avantage et il cherche à faire travailler en synergie ces différences, ce qui renforce le sentiment d’appartenance et l’adhésion au projet commun. Il fait attention à préserver un traitement juste et équitable.

Il fait montre de prudence dans ses choix pour préserver l’équilibre de l’équipe, tout en étant capable de prendre des risques pour encourager l’audace au service de tous. Il vise l’exemplarité et évite à tout prix le « faites ce que je dis mais pas ce que je fais ! ».

Il sait que le respect doit être mutuel et que la reconnaissance est un élément essentiel pour avancer et progresser. Il sait aussi trancher quand il le faut, toujours au service de l’intérêt général et non pour imposer sa volonté ou son avis. Il préfère conseiller qu’ordonner, sauf éventuellement en situation d’urgence ou sa capacité de prise de décision est attendue. Il connait l’importance de la parole donnée et fait attention à respecter ses engagements.

Le leader parfait n’existe pas. Bonne nouvelle ! L’essentiel est qu’il se sache sur un chemin de progression. De nombreux moyens sont à sa disposition pour développer l’alchimie précieuse qui lie et potentialise son leadership et son autorité. Et, autre bonne nouvelle, beaucoup de ces moyens ne dépendent que de lui : solliciter et recevoir les feedbacks comme des cadeaux, les utiliser pour prioriser les compétences comportementales – ou soft skills – qu’il souhaite développer, se faire accompagner… Alors, on commence par quoi ?
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