Fonction managériale : peut-on encore éviter l’obsolescence programmée ?

Ce début de siècle voit émerger de nouveaux paradigmes du management et de la fonction managériale au sens large, avec la fin progressive du manager comme héros charismatique des temps modernes. Le management « post-héroïque » évolue vers des principes plus coopératifs, l’autorité s’appuyant davantage sur les capacités de dialogue, de concertation, de négociation, d’implication raisonnée et durable entre les acteurs. On parle de plus en plus de « leadership collectif » basé sur une organisation matricielle, en réseau, et sur une culture de la confiance et de l’autonomie.

Alors, exit le leadership basé sur l’ancienneté et le rôle protecteur, voire paternaliste ? Fini les top-chefs, qui confondent encore trop souvent le pouvoir personnel imposé avec l’autorité de compétence reconnue ? Bye-bye les managers garants de règles et procédures bureaucratiques et dont la mission de contrôle hiérarchique était la principale raison d’être ? Révolue l’hyper-compétition concurrentielle, censée booster les performances à coup de récompenses financières et/ou statutaires ?

Si les managers ne vont pas disparaitre du paysage organisationnel, quelle nouvelle identité et quelles compétences-clés vont leur être nécessaires pour les aider à changer de rôle et de mission ?

Fonction managériale : passer du paradigme « mécanique » au paradigme « organique »

Le management « mécanique »

La fonction managériale est encore très imprégnée du taylorisme du début du 20ème siècle. Malgré les profonds changements technologiques et sociologiques qui ont eu lieu depuis un siècle, le management est longtemps resté figé dans des missions de planification et de contrôle.

Dans un processus industriel de production de masse, le focus s’est porté sur une vision mécanique du rôle de manager. La hiérarchie est structurée de manière verticale et la répartition du pouvoir de décision, de récompense et de sanction est liée à sa place au sein de l’organigramme. Le respect du « statut » prend une ampleur considérable, grimper dans la technostructure devient l’ambition première d’une « évolution de carrière ». La gestion de l’activité est principalement quantitative : plus de productivité, plus de croissance, plus de bénéfices, plus d’économies…

Ce type de management produit davantage de dépendance que d’autonomie, d’obéissance et de méfiance au lieu d’engagement et de confiance, de conformisme à la place de curiosité et de créativité. S’il crée un certain confort par l’uniformité et la standardisation, il génère aussi beaucoup d’inertie, de déperdition d’énergie et d’information, ainsi qu’une bonne dose d’ennui.

Le manager du monde industriel-mécanique a longtemps cru qu’il pourrait tout contrôler avec des business-plans, des process éprouvés et des tableaux de bord. Convaincu par ailleurs que sa place en haut de l’échelle lui prodiguait une forme d’intelligence supérieure, le manager s’est longtemps persuadé qu’il avait raison tout seul.

Ainsi, certaines « maladies » du management mécanique se sont répandues, sans que l’on perçoive toujours leur côté pathologique :

  • Le manager schizophrène, qui professe à l’extérieur des valeurs humanistes et dirige à l’intérieur de manière autoritaire, ou celui qui fixe des objectifs grandioses en donnant des moyens ridicules à celles et ceux chargés de les réaliser.
  • Le manager boulimique, qui veut toujours plus de pouvoir, plus d’argent, plus de parts de marchés… mais qui ne produit pas d’autre sens que cet appétit dévorant.
  • Le manager anorexique, qui ne jure que par les réductions (de dépenses, de personnel…) et pense que plus il fait d’économies, plus il est objectivement performant.
  • Le manager atteint d’Alzheimer, qui oublie au fur et à mesure, qui n’apprend pas de l’expérience réelle, et qui reproduit inlassablement les mêmes pratiques qui conduisent aux mêmes résultats, parce que c’est comme ça qu’il a appris.
  • Ou encore le manager borgne et/ou hémiplégique, qui est le champion des organisations qui fonctionnent en silo, chacun de son côté, sans but commun, où la tête et le corps sont séparés, où les membres n’agissent pas de concert.

Dans un mode de plus en plus globalisé, interconnecté numériquement, où les échanges financiers se font en nanosecondes, le management mécanique qui a dominé le 20ème siècle est en passe de devenir obsolète, inadapté, dépassé, inefficace et contre-productif.

Le management « organique »

Dans les systèmes complexes, la connaissance est contingente, limitée. On ne peut pas tout savoir à l’avance ni tout planifier. Il faut s’adapter à un contexte en constant changement, souvent imprévisible, qui oblige à développer des stratégies adaptatives. La vision systémique et panoramique est ce qui permet de simplifier le complexe sans tomber dans le simplisme. Il s’agit de voir les différents enjeux, les interactions, les options possibles, d’envisager à la fois le tout et ses parties, puis de synchroniser les forces vives du groupe pour réaliser ce qui est le plus efficace en fonction des ressources à disposition.

La clé est de ne plus chercher à uniformiser les pratiques mais plutôt à harmoniser les intentions. Une équipe est une sorte de tribu où les individus singuliers qui la composent doivent être reliés par une puissante intention collective qui les fédère.

Chacun joue sa partition au service du collectif et peut jouir en même temps d’une forte autonomie dans ses activités. Ça n’est possible que parce qu’il y a une vision claire et partagée de ce qui rassemble le groupe : le but ultime, les valeurs-clés.

En ce sens, le nouveau « manager » est davantage paré des attributs d’un « leader ». Sa raison d’être est moins dans la définition et le suivi des process que dans l’entretien de cette intention collective. Il est porteur de sens, il aide et accompagne les différents acteurs du projet commun à exprimer leur potentiel, il garde le cap avec constance, persévérance et adaptabilité, il a une vision d’ensemble et coordonne les volontés et les compétences pour que le groupe progresse vers sa destination.

Il s’agit à présent de s’écarter du dogme quantitatif pour adopter une vision pleinement qualitative du travail. Améliorer la qualité des produits et services bien sûr, mais aussi la qualité de la vie au travail, permettant à chacun de se réaliser et d’exprimer ses talents, afin de créer les conditions de l’engagement. Le management organique cherche à faire « mieux » plutôt que « plus ». La performance reste une exigence forte, réalisée dans le respect des valeurs qui soudent le groupe. L’équilibre entre l’exigence et la bienveillance (droit à l’erreur, accompagnement constructif…) permet d’ancrer la confiance et de renforcer le sentiment d’appartenance.

Toutes les générations sont concernées. Si ce besoin de qualité de vie est une évidence pour les générations Y et Z (les 20-35 ans actuellement sur le marché du travail), beaucoup de quadra et de quinquagénaires (génération X et baby-boomers encore en activité) ressentent aujourd’hui le même profond désir de changement qualitatif. « Gagner sa vie » n’est plus un but suffisant, il faut surtout la réussir, et ce sur tous les plans. Le travail est alors vécu comme un élément indissociable de l’épanouissement personnel général. Et les méthodes de management mécanique sont un véritable frein à cette aspiration grandissante.

Pour éviter cette « obsolescence programmée », la fonction managériale doit opérer une transformation profonde sur sa raison d’être et imaginer les attitudes et compétences nécessaires afin de réussir le changement de paradigme en cours.

Pour accompagner cette transformation vers le leadership, Gordon Crossings propose la formation inter-entreprise Manager une équipe. Notre société intervient également au travers de dispositifs intra-entreprises, accompagnement de CoDir, coaching de dirigeants.

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