Gestion des conflits au travail : pourquoi on s’y prend généralement si mal ?!

Qu’est-ce qu’un « conflit » ? Le dictionnaire nous explique que c’est « un choc qui se produit lorsque des forces antagonistes entrent en contact et cherchent à s’évincer réciproquement » ! C’est clair et poétique à la fois. On peut le traduire par une forte opposition, une profonde divergence, un vif désaccord ou un grave différend… Il existe aussi des conflits intérieurs, psychiques, moraux, affectifs… le célèbre dilemme entre la passion et le devoir par exemple, dont la tragédie grecque regorge. En résumé, le conflit est un combat, au sens propre ou figuré. Toutefois, il n’est évidemment pas nécessaire d’en venir aux mains pour le résoudre, ni forcément d’écraser de quelque manière son adversaire du moment pour pouvoir en sortir.

Nous sommes aujourd’hui des milliards et chacun a ses propres priorités, ses choix, ses croyances, ses valeurs, ses limites… En fait, imaginer une société sans aucun conflit n’est pas seulement irréaliste, c’est aussi une vision totalitaire qui étoufferait toute différence, toute individualité, toute singularité.

C’est donc un lieu commun de dire que le conflit, c’est la vie. En somme, ce ne sont pas tant les conflits qui posent un problème, mais plutôt nos stratégies souvent archaïques et inefficaces de résolution de ces conflits.

Voyons ensemble pourquoi nous sommes souvent si démunis et maladroits dans nos façons de procéder.

Du pouvoir de l’ego…

Soyons honnête ! Lors d’un conflit, au-delà de la raison affichée du désaccord, se joue souvent une défense acharnée de notre ego. Avoir tort est vécu comme un aveu de faiblesse, une diminution de notre estime de nous-même, une détérioration de notre image. L’issue du conflit devient alors un problème d’honneur, de fierté : il convient surtout de « ne pas perdre la face ».

Ce faisant, nous entrons dans le processus de résolution de conflit avec l’idée qu’il y aura forcément un gagnant et un perdant et… qu’il vaut mieux être le gagnant !

Rester enfermé à l’intérieur de notre ego nous empêche de nous « décentrer », c’est-à-dire de nous mettre à la place de l’autre, de prendre de la distance face à la situation et de chercher des solutions plus coopératives. Le conflit envisagé comme une défense de notre ego limite nos options pour le résoudre. Si l’autre partie en conflit réagit de la même manière (ce qui, entre nous, est assez courant), c’est une bataille rangée, chacun défend ses barricades et c’est généralement un jeu à somme nulle, même si quelqu’un revendique la « victoire », généralement partielle et temporaire.

… à l’ego au pouvoir

Les enjeux de pouvoir sont parfois clairement affichés mais restent le plus souvent dans l’ombre, s’intégrant dans un agenda caché, structurant des alliances d’intérêt commun et les modifiant au gré des changement de stratégies. Les luttes de pouvoir prennent des prétextes pour s’exprimer, jouent de faux-semblants, de non-dits. La communication est alors fondée sur la manipulation ou le rapport de force, la compétition prime, chacun avec ses propres règles. Les interlocuteurs extérieurs sont instrumentalisés et leur neutralité n’est pas toujours aisée à conserver, « il faut choisir ton camp camarade ! »

Une équipe où deux personnes cherchent à obtenir le leadership, des directeurs de pôles qui tentent d’augmenter leur influence auprès de la direction générale en dévalorisant leurs « concurrents », des entités séparées au sein d’un groupe qui se mettent des bâtons dans les roues au lieu de collaborer en direction d’un objectif commun… Nombreux sont les exemples de luttes de pouvoir qui bloquent la saine communication et empêche les informations et les énergies de circuler librement au service du collectif.

Dans les batailles d’ego, la règle implicite c’est « Pile je gagne, Face tu perds ».

Il y a une volonté de dominer, d’être sur la plus haute marche du podium quitte, pour y arriver, à piétiner ses partenaires devenus des « adversaires ». Car, dans cette vision quelque peu rugueuse du conflit, c’est en écrasant l’autre, en lui marchant sur la tête qu’on s’élève… Malheureusement (ou heureusement ?), on trouve presque toujours plus fort que soi un jour. Les hiérarchies de dominance perdurent en modifiant juste le nom du champion du moment.

Contenir le tsunami émotionnel

Nos émotions sont des sortes d’orages d’énergie qui nous mettent en action, colorent nos pensées et structurent nos attitudes. Nous sommes câblés ainsi. Quand une situation ne nous convient pas, quand nos besoins essentiels sont contrariés, quand nos valeurs sont heurtées, quand nous souffrons, etc., nous ressentons des sensations fortes et désagréables à l’intérieur qui nous poussent à agir vers l’extérieur. Emotions et cognitions sont normalement censées travailler de concert mais, la plupart du temps, la tempête émotionnelle prend le dessus et impose sa propre musique, son rythme, son volume sonore…

Colère, frustration, anxiété, jalousie, honte, culpabilité, stupéfaction, panique… autant d’émotions puissantes qui nous envoient un message sur la situation et ses enjeux, sur ce qui ne va pas et qu’il faut changer… mais qui nous enjoignent aussi à réagir vite et fort, pour se défendre, pour se protéger, pour se faire respecter, etc.

Et c’est là que ça dérape ! Les émotions fortes paralysent notre cerveau rationnel et déclenchent des réactions automatiques de défense.

Et quand nous sommes en conflit (divergence, désaccord, opposition, bataille…), nous vivons des émotions intenses qui peuvent faire voler en éclat notre « contrôle social », notre capacité à gérer raisonnablement les situations.

C’est pour cela qu’il est souvent conseillé ne pas chercher à régler les conflits « à chaud », pour éviter de dire ou faire des choses que l’on regrettera ensuite, comme jeter de l’huile sur le feu, exprimer des généralisations abusives sur l’autre, l’attaquer parce qu’on se sent agressé.

Mille milliards de raisons de se prendre la tête !

Lors d’une session de formation sur la résolution de conflit au sein d’une collectivité territoriale, j’ai demandé aux participants de fabriquer une matrice (en gros un tableau avec abscisses et ordonnées) permettant de lister l’ensemble des causes des conflits professionnels rencontrés dans leur carrière.

Voici ce qu’ils ont proposé :

matrice de diagnostic des conflits

Comme nous pouvons le voir, ce tableau (non exhaustif) présente déjà 70 configurations différentes de conflits possibles, en fonction des personnes impliquées et selon l’origine envisagée du conflit.

C’est même légèrement plus compliqué, puisqu’un conflit peut mélanger plusieurs cases sur les deux axes.

Exemples : 1) un désaccord sur les méthodes de travail révèle des besoins insatisfaits et engendre des malentendus de la communication ; 2) un conflit entre un responsable et un agent se transforme en conflit entre le responsable et le reste de l’équipe et génère des problèmes entre le responsable et sa hiérarchie.

Bref, diagnostiquer qui sont les protagonistes en conflit et où se trouve l’origine du problème est à la fois une étape de base pour lancer un processus de résolution, mais nous renseigne aussi sur notre créativité infinie pour inventer de multiples de raisons de se compliquer l’existence ! Pourrions-nous commencer à nous la simplifier ? En prévenant un certain nombre de conflits potentiels par exemple ?

Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ?

Pour qu’une résolution constructive d’un conflit puisse avoir lieu, il faut tout d’abord vérifier que toutes les parties impliquées partagent la même volonté réciproque de résoudre le conflit de manière constructive. Encore une fois, cela peut paraitre une lapalissade, mais cette première étape n’est pas toujours clairement identifiée ni validée.

Imaginons que je sois en conflit avec un collègue de travail sur la répartition des tâches dans un projet. Admettons que je sois le gentil de l’histoire et que je souhaite ardemment trouver une solution négociée pour que cette répartition ne lèse personne. Mais si mon collègue n’a qu’une idée en tête, me refiler le boulot le plus fastidieux et obscur pour se garder les activités les plus « cool » et qui vont le mettre en lumière, alors les dés sont pipés. Tant que nous ne sommes pas d’accord sur l’objectif commun de répartition équitable du travail (et des honneurs !), la situation conflictuelle n’est qu’un rapport de force.

La révélation que nous pouvons faire dès à présent, c’est que tout le monde n’est pas tout le temps dans une énergie et une volonté de concertation, de coopération, de résolution constructive des conflits. Cela s’appelle le principe de réalité. Donc, même si je veux rester consensuel et continuer à mobiliser mes valeurs pour convertir mon entourage à la négociation gagnant-gagnant, je décide néanmoins de ne pas être naïf et de faire attention à là où je mets les pieds. En revanche, si cette volonté constructive réciproque n’est pas là et que l’affrontement est inévitable, il y a quelques petites choses à vérifier avant d’embarquer :

  • Ai-je vraiment l’envie et l’énergie pour aller au « combat » ?
  • Quelles-sont mes armes, mes munitions, mes atouts ?
  • Puis-je compter sur des alliés, ou sur le « support aérien » (= la hiérarchie) ?
  • Quelles conséquences éventuelles ? Suis-je prêt à les assumer ?
  • Et si je botte en touche, si j’évite la lutte, pourrai-je m’accommoder de la situation ?

La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible, au milieu de la bataille, de changer son fusil d’épaule et de repasser en mode « résolution collaborative ». C’est d’autant plus aisé lorsque vous arrivez à être en position de force, autrement dit si celui qui voulait l’affrontement s’aperçoit qu’il a en vérité peu de chance de « gagner » de cette manière. Les gens ne sont pas toujours sympathiques et agréables, mais ils sont rarement complètement irrationnels !

Allo ! Le service après-vente ?

Tant qu’on parle de bonnes nouvelles, et pour conclure positivement cet article, voyons un peu ce que peut proposer un bon « SAV ».

Le service après-vente est une notion extrêmement importante dans l’efficacité relationnelle. Il est quand même rare, à moins d’être un magicien de la communication, de tout bien faire du premier coup. Comme nous l’avons vu, nous sommes souvent à la merci de notre ego, nous adorons nous persuader que nous avons forcément davantage raison que les autres, nous sommes parfois submergés par nos émotions et nos paroles peuvent dépasser nos pensées.

Le SAV, en communication, c’est tout d’abord prendre conscience de ce qui s’est passé, sans se faire Hara-Kiri ni rejeter toute la faute sur notre interlocuteur. Comprendre ensuite ce qui a dysfonctionné dans le processus. Puis, après s’être éventuellement excusé, proposer de rejouer la partie, en s’appuyant cette fois sur de meilleures bases, avec un objectif commun clairement formulé et une méthode acceptable des deux côtés.

Evidemment, cela demande de mettre de côté une bonne dose d’orgueil, de clarifier son véritable besoin, d’accepter de prendre en compte le point de vue de l’autre, de renoncer aussi à sa solution idéale initiale, pour laisser la place à une solution construite ensemble.

Certaines relations qui semblent très mal partie, avec des tensions proches de la rupture, deviennent par la suite des relations de confiance solides, grâce à un SAV de qualité. Sincèrement, ça vaut la peine d’essayer.

Si nous avons brossé ici quelques raisons classiques qui nous font « réussir à échouer », il existe évidemment des méthodes éprouvées de résolution de conflit qui, autre bonne nouvelle, s’apprennent. Alors promis, on en reparle !

Nos formations sur ce thème : https://www.gordon-crossings.com/formation-gestion-des-conflits/

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