Le besoin de reconnaissance est vital pour l’être humain. La reconnaissance est l’inverse de l’indifférence, qui confine au mépris d’existence. Nous devons savoir que nous existons aux yeux des autres, aux yeux du monde, en avoir même la certitude. L’absence de reconnaissance au cours des premières années de vie peut créer un manque affectif profond et générer de potentiels déséquilibres psychiques qui vont ensuite structurer notre vie adulte.
La vie professionnelle est un vecteur très important pour répondre à ce besoin de reconnaissance ancré en nous, qui est si essentiel à notre équilibre.
Axel Honneth (1949- ) est un philosophe et sociologue allemand. Issu de la tradition de l’école de Francfort et de sa « théorie critique », il décrypte dans ses recherches l’organisation de la société et redéfinit les frontières d’un nouveau contrat social, où chaque individu pourrait trouver sa place en satisfaisant les 3 formes de reconnaissance essentielles à son épanouissement :
- La reconnaissance « affective »,
- La reconnaissance « juridique »,
- La reconnaissance « culturelle ».
Chaque être humain et groupe social lutte pour obtenir la reconnaissance et contre le mépris et l’indifférence.
Axel Honneth
Voyons ici en synthèse ce que recoupent ces 3 dimensions et comment les mettre en œuvre au sein de nos organisations.
Le besoin de reconnaissance « affective »
La reconnaissance affective, c’est celle que nous obtenons généralement auprès de la famille, des amis, des amours… Elle est « inconditionnelle », en ce sens qu’elle n’a pas besoin de raison particulière. Celles et ceux avec qui nous partageons des liens affectifs forts nous acceptent, nous reconnaissent et nous accordent de la valeur simplement parce que nous existons. Nous n’avons pas besoin de réaliser quoi que ce soit pour en bénéficier, elle est liée à notre « valeur intrinsèque ».
C’est cette forme de reconnaissance qui crée une « socialisation primaire » lors de notre enfance et son manque ou absence peut être très préjudiciable à notre équilibre. Elle permet de développer de la confiance en soi grâce à l’attention des autres et à la confiance dans notre environnement que cette reconnaissance procure. Elle s’exprime par le langage verbal mais aussi et surtout par le corps (les regards, les sourires, le contact physique en général).
Lorsque cette forme de reconnaissance a été comblée durant les premières années de la vie, on assiste généralement à l’émergence d’une personnalité ouverte, curieuse et proactive, corollaire de la sécurité affective induite.
Le piège possible est celui d’une certaine dépendance relationnelle et d’une perméabilité des frontières entre soi et les autres, particulièrement si l’amour reçu est invasif, étouffant, empêchant alors la prise d’autonomie.
La reconnaissance affective agit donc fortement sur la structuration de notre personnalité et notre niveau de maturité, de stabilité intérieure.
Même si cette forme de reconnaissance est davantage liée au cercle familial ou amical, elle peut aussi faire partie de la vie au travail. En effet, l’acceptation inconditionnelle d’un nouveau collaborateur, le fait de lui faire comprendre, dès son recrutement, qu’il fait pleinement partie de l’entreprise, sans attendre l’obtention de « résultats », est essentielle pour réussir son intégration et le sécuriser au sein du groupe.
Cela peut passer par l’octroi d’un bureau, d’un téléphone et d’un ordinateur « comme les autres », de faire attention à ce que la personne nouvellement arrivée soit bien dans la boucle d’information de l’équipe, qu’elle puisse donner son avis sur les projets en cours, etc. Elle doit sentir qu’elle existe aux yeux de ses collègues et de sa hiérarchie, qu’elle fait pleinement partie du groupe (elle fait « corps ») et qu’elle est acceptée pour ce qu’elle est, avant même d’être appréciée pour ce qu’elle fait.
La reconnaissance « juridique »
C’est la reconnaissance qui nous est octroyée par les institutions (l’Etat, l’école, l’entreprise ou l’administration dans laquelle nous travaillons). Elle s’adresse à notre identité sociale, en tant que citoyen, contribuable ou employé. Par cette forme de reconnaissance, la société nous envoie le message que nous avons de la valeur en nous accordant les mêmes droits et devoirs que les autres.
En fonction de notre capacité à poser des jugements éclairés et à assumer la responsabilité de nos actes, nous obtenons par exemple le droit de voter, de prendre part à la vie politique et syndicale, de saisir la justice, etc. A contrario, si nous commettons certains crimes ou délits, une partie de ces droits peuvent nous être momentanément retirés.
Cette reconnaissance officielle par la société permet de développer un sentiment de dignité et de respect de soi, en tant que sujet libre et responsable appartenant à un groupe constitué. L’égalité en droit est liée à l’universalisme de la condition humaine : quels que soient le sexe, la couleur de peau, l’origine culturelle, les croyances ou la condition sociale, chaque membre de la société est logé à la même enseigne, sans distinction arbitraire.
Au sein d’une entreprise, c’est l’assurance que chacun sera traité sur un pied d’égalité, avec des règles communes et connues de tous. Pas de discrimination entre hommes et femmes, pas de privilèges injustifiés accordés en fonction de la proximité avec la direction ou du « copinage » avec un chef, de la transparence sur les statuts de chacun et sur les critères de promotion ou de rémunération…
C’est aussi la possibilité, en tant que membre d’un collectif, de pouvoir exprimer son avis, de voter aux élections professionnelles, de participer aux instances de décisions, de participer à la vie de l’entreprise et aux changements, dans une position active et non passive ou victimaire.
La précarité de certains emplois ou certaines fonctions empêche parfois l’existence de cette forme de reconnaissance. L’intervenant ponctuel, le stagiaire ou la personne en CDD doivent généralement lutter pour obtenir cette reconnaissance. Alors que la personne en CDI ou le fonctionnaire, titulaires d’un emploi à peu près sécurisé, bénéficient de la reconnaissance juridique. Les différences de positionnement statutaire n’offrent pas toujours l’accès aux mêmes droits. Certains se sentent « invisibles » et, par là-même, méprisés au lieu de reconnus.
La précarité de l’emploi et la multiplicité des statuts a longtemps été l’occasion d’utiliser la « main d’œuvre » de manière flexible, en individualisant les relations employé-patronat, permettant à ce dernier d’établir un rapport de force en sa faveur.
Mais le manque de « reconnaissance juridique » (au sens de la théorie d’Axel Honneth) crée de l’insécurité, de la frustration, un sentiment d’injustice et du ressentiment. Tout cela freine l’implication dans le projet collectif et, in fine, la productivité et la qualité du travail, parfois même la rentabilité à long terme.
Cela étant, la reconnaissance, si elle est utilisée de manière instrumentale, peut aussi être vécue comme une stratégie de manipulation, et perdre ainsi son objectif d’autonomisation des individus.
C’est donc une question-clé de plus en plus prégnante dans la réorganisation et la modernisation des entreprises.
La reconnaissance « culturelle »
La réponse à ce besoin de reconnaissance spécifique est fournie par les groupes d’appartenance eux-mêmes (familles, amis, associations, équipes de travail) et aussi par le grand public, parfois par l’intermédiaire des médias et réseaux sociaux.
Elle est conditionnée aux réalisations concrètes, aux compétences et aux qualités particulières de l’individu. La valeur obtenue est liée à l’affirmation de son identité propre, à l’expression de sa singularité.
Elle s’obtient par l’action, le « faire », l’implication personnelle et le travail.
Elle développe l’estime de soi, par l’image positive qu’elle renvoie.
Dans le monde professionnel, elle est évidemment liée à la possibilité d’exprimer son potentiel dans ses missions. Il s’agit pour l’entreprise de placer les personnes dans un poste qui correspond à leurs capacités et d’accompagner leur évolution de carrière. L’entretien de la motivation et du bien-être au travail passe souvent par l’intérêt et l’enrichissement des tâches. Le management intermédiaire et le top management doivent rester attentifs pour repérer les talents, leur permettre de s’exprimer et de progresser, tout en leur donnant les moyens de le faire.
Les réussites et les progrès sont mis en évidence, valorisés, félicités, récompensés, célébrés… pour ancrer cette reconnaissance dans les faits et donner à chacun le désir d’avancer et de se réaliser. C’est aussi l’occasion de créer des synergies, de la coopération et des liens de solidarité, selon l’adage « apprendre à faire ensemble pour apprendre à vivre ensemble ».
Nous venons de voir les 3 éléments qui constituent la réponse au besoin de reconnaissance que nous recherchons tous, et qui créent en nous un profond sentiment de confiance, de dignité et d’estime de soi.
Selon Axel Honneth, la société devrait s’organiser pour permettre à chaque individu d’accéder aisément à ces différentes formes de reconnaissance, et développer ainsi la sécurité intérieure, le bien-être psychologique et l’actualisation de son potentiel.
La question se pose aussi au niveau des organisations professionnelles, lieux de socialisation et d’expression des compétences. Le travail n’est pas seulement une activité qui permet de gagner de l’argent pour subvenir à ses besoins, c’est aussi et surtout un moyen d’exprimer le potentiel créatif de chacun, de vivre des relations épanouissantes et de se sentir utile aux autres, pour peu que le contrat entre l’individu et l’organisation soit sincèrement gagnant-gagnant.
Pour plus de détails sur la façon d’exprimer des signes de reconnaissance, accédez à notre précédent article sur le sujet
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