« La stratégie du dauphin – les idées gagnantes du 21ème siècle » est le titre d’un livre brillant et visionnaire écrit dans les années 90 par Dudley Lynch et Paul Kordis.
A l’aide d’une métaphore océanique très parlante, les auteurs ont envisagé ce que pourrait être un nouveau leadership en s’appuyant sur l’image du dauphin, être vivant parmi les plus intelligents sur notre planète, réputé pour être particulièrement agile, créatif, adaptatif et communicatif.
En effet, doté d’un cerveau plus gros en volume que celui de l’Homme, il est considéré comme la seconde espèce sur le podium de l’intelligence terrestre. Cet animal aquatique est capable de résoudre différents problèmes complexes en apportant des réponses créatives et en usant de logique et de déduction. Il possède une conscience réflexive, c’est-à-dire qu’il a conscience de lui-même, il se reconnait dans un miroir ou sur un écran de télévision. Il a aussi conscience des différentes espèces qui l’environnent et peut mémoriser les interactions possibles avec chacune d’elles.
L’élégance du dauphin
Son langage, intégrant une grande palette émotionnelle, lui permet comme les humains de pratiquer la transmission culturelle entre groupes et entre générations. Il peut tout à fait se débrouiller seul dans l’océan tout en ayant aussi développé des stratégies de collaboration très efficaces. Les groupes de dauphins nouent des alliances temporaires avec d’autres groupes, selon leur intérêt. Les dauphins sont joueurs, très bons nageurs, ils aiment surfer sur les vagues et se projettent dans le futur pour élaborer des stratégies.
Qu’est-ce qu’un manager « homo-delphinus » pour le 21ème siècle ?
Les managers et leaders en devenir font face à un environnement complexe où règne l’incertitude. Quand tout devient plus ou moins imprévisible, on ne peut plus piloter avec des tableaux de bord du haut de sa tour de contrôle. Le vivant s’adapte en permanence, il doit improviser et décider en fonction de ce qui se passe en temps réel. Pour y arriver, il lui faut une solide colonne vertébrale constituée notamment par sa vision du futur et la clarté de sa raison d’être.
Le manager « homo-delphinus » accepte l’imprévu, car il aime ce qui le surprend et l’oblige à activer son potentiel. Il sait par expérience que ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain. Au lieu de le crisper et de l’angoisser, cela lui donne un sentiment de liberté et stimule ses ressources créatives.
Il connait ses limites et se concentre sur ses priorités, en privilégiant les solutions élégantes, sobres et efficaces. Tout en gardant en tête l’ensemble du tableau, il repère aussi les menus détails qui peuvent cependant faire une différence significative.
Muni d’un fort cadre de référence interne (clarté de ses valeurs, de ses buts, de ses besoins), il écoute aussi l’avis des autres et se remet en question si cela est nécessaire à la réussite du projet collectif. Il est proactif et flexible, sans rigidité mentale. Il ne cherche pas prioritairement à avoir raison mais à mener à bien sa mission. Il envisage toujours la possibilité de se désengager si la situation réelle ne correspond pas à ses attentes, sans se sentir piégé dans un engrenage.
Un mammifère d’une grande flexibilité
Il peut tout à la fois être centré sur lui-même, sur ses besoins fondamentaux, puis se centrer sur les autres, avec une véritable écoute empathique, et observer de manière panoramique les interactions relationnelles et leur implication systémique. Il sait changer sa focale et sortir de son égocentrisme sans perdre de vue ses convictions profondes.
Sa forte curiosité et son ouverture d’esprit l’amène à rechercher l’intensité des expériences comme stimulant intellectuel et émotionnel. Les problèmes sont des jeux et des énigmes à résoudre qui le maintiennent dans un apprentissage permanent. Il préfère se poser des questions que ressasser des réponses toutes faites.
Le changement est naturellement accepté, car il sait que c’est un processus permanent du vivant. Il ressent les vagues du changement arriver et cherche à les anticiper sans stress et sans obstination. Le changement oblige souvent à sortir des réactions automatiques et à innover, à faire preuve de souplesse cognitive.
Un animal pacifique… qui a du répondant
Il ne recherche pas le conflit inutilement, mais il ne le fuit pas pour autant quand il se présente. Son orientation vers des solutions pragmatiques et durables fait en sorte qu’il privilégie les méthodes coopératives de résolution de problème. Toutefois, si l’autre partie en conflit cherche le rapport de force, il utilise la stratégie du « tac-au-tac » (adaptation à la réaction de l’autre, jusqu’à ce que la volonté de résolution coopérative soit partagée). Son but est de chercher la solution la plus fonctionnelle pour le plus grand nombre. Il est conscient que les relations durables ne sont pas celles où il y a le moins de conflits mais plutôt celles où les conflits sont résolus de manière constructive.
Il est à l’aise dans plusieurs visions du monde et ne cherche pas spécialement à imposer la sienne aux autres. Il peut participer à des rituels de groupe pour renforcer les liens, se montrer un chef fort et courageux si les circonstances l’exigent, respecter et faire respecter les règles et les normes si elles lui semblent justifiées, favoriser une émulation compétitive si cela fait avancer le projet commun, ou privilégier l’harmonie relationnelle si c’est le besoin essentiel de l’équipe à un moment « t ».
Il ne confond pas « rechercher le pouvoir » et « assumer sa position d’autorité ». Son rôle de manager est d’abord un rôle de facilitateur, qui permet aux énergies, compétences et intelligences des individus et du groupe de s’exprimer au service du projet commun.
Sa priorité est l’autonomie de ses collaborateurs, grâce à leur adhésion à l’intention collective et à la relation de confiance établie. Pour cela, il mise sur la congruence de sa communication (la cohérence entre les valeurs, le discours et les actes) et la co-responsabilité des résultats. Il aide chacun à la fois à s’intégrer dans un ensemble et à se distinguer au sein de celui-ci.
Son style de management privilégié est le mode délégatif, l’adhocratie, le groupe de projet… Pour autant, si cela est nécessaire, il pourra être plus directif ou dans une approche de coaching, toujours en s’adaptant au mieux à la situation. Il se déplace aisément dans les 3 dimensions du management : verticalité, horizontalité et transversalité.
Le dauphin comme source d’inspiration
Ce rapide descriptif du manager « homo-delphinus » (ou « post-moderne ») nous indique quelques voies de développement et d’évolution dans la fonction de management des équipes.
Le contexte social, économique et professionnel se modifie très vite et la révolution actuelle du télétravail et du travail à distance accélère ces transformations. L’adoption de nouvelles attitudes et de nouvelles représentations sur le rôle des managers est clairement une question de survie de ce type de mission. Les managers « old school » qui ne feront pas leur mutation risquent tout bonnement de disparaitre progressivement des organisations.
Cela indique aussi à quel point la responsabilité managériale demande de plus en plus des individus ayant fait un certain travail sur eux-mêmes, sur leur équilibre personnel, sur la connaissance de leurs besoins et attentes, afin d’être « alignés » et capables de guider et accompagner leurs semblables sans intentions cachées et/ou manipulatoires.
Comme les dauphins, apprenons à surfer les vagues du changement quand elles se présentent à nous, avec plaisir et élégance, comme un jeu, comme une opportunité de croissance personnelle, sans toujours savoir où le courant nous mènera…
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