Savoir décrypter le langage des émotions : un must !

Adolescent, j’adorais lire des romans de science-fiction. Parmi les incontournables, il y avait le cycle de « Fondation » d’Isaac Asimov. Un personnage m’avait marqué : le Mulet (« The Mule »).

C’était une sorte de mutant qui avait réussi à dominer seul l’empire galactique pendant quelques dizaines d’années, grâce à ses pouvoirs psychiques particuliers. Il était capable de ressentir et de diriger les émotions de tous les êtres qu’il croisait. Ce faisant, son influence était quasiment irrésistible, tant sur les individus que sur les masses. 

Chacun gardait sa capacité de raisonnement, mais toujours en lien étroit avec les émotions induites, façonnées par le Mulet. Il possédait donc une sorte de pouvoir absolu de persuasion par le contrôle des émotions des autres. Est-ce à dire que les émotions mènent le monde ? Quand on travaille dans la communication, le management, la publicité ou la politique, on sait d’expérience que ce n’est pas très loin de la vérité !

Et si nous étions un peu tous des « Mulet » avec nous-mêmes ? 

Avons-nous la possibilité de mieux contrôler et d’ajuster nos réactions émotionnelles ? Comment harmoniser davantage nos émotions et nos cognitions ?

Les émotions sont un langage singulier, avec des codes caractéristiques qu’il faut apprendre à décrypter. Cet article va vous donner quelques clés d’accès pour devenir un grand-maître de vos propres émotions !

Le Mulet, personnage central du cycle Fondation d'Isaac Asimov, sait ressentir et diriger les émotions.

1- Qu’est-ce qu’une émotion ?

Les émotions sont des réactions physiologiques (rythme cardiaque, pression artérielle, tension musculaire, glycémie, etc.) en réponse à certains évènements et à leur interprétation par notre cerveau. Elles enclenchent ensuite d’autres réactions corporelles, cognitives et comportementales.

Les émotions servent à nous renseigner et à nous focaliser sur ce qui est vraiment important pour nous dans une situation (respect de nos besoins physiologiques, estime de soi et image sociale, buts, valeurs…) et ainsi à gagner du temps et de la pertinence dans la prise de décision. On peut dire que toute prise de décision se réalise en partie grâce à la couleur émotionnelle dominante sur le sujet. 

Les émotions colorent la perception de notre environnement et nous aident à l’« évaluer » (agréable/désagréable ; attraction/répulsion). Elles nous aident aussi à donner du sens aux situations que nous vivons (bien/mal ; bon/mauvais ; beau/laid ; intéressant/ennuyeux…) et nous délivrent de l’énergie pour agir en conséquence.

Les cognitions et émotions interagissent de manière systémique, elles s’influencent et se renforcent mutuellement. La raison permet de planifier logiquement et à long terme nos choix ; l’émotion est une réaction instantanée pour action immédiate. 

Par ailleurs, il existe deux fois plus de connexions neuronales allant du système limbique (partie du cerveau spécialisée dans la gestion des émotions) au néocortex (partie du cerveau où siège le raisonnement logique) que l’inverse. 

La Nature semble avoir donné la priorité à la voie émotionnelle comme garante de la survie.

Tous les êtres humains partagent un panel d’émotions communes (attraction, joie, surprise, peur, colère, tristesse, aversion, etc.) mais les déclencheurs et les modes d’expression sont différents pour chacun d’entre nous.

Enfin, notre culture et notre éducation influencent nos ressentis et favorisent davantage l’expression de certaines émotions par rapport à d’autres. C’est du reste un aspect très important de la communication entre cultures : comprendre ce qui crée certaines émotions et décoder leur expression.

2- Différents registres et différents niveaux d’intensité d’émotion

Les émotions ne sont ni positives, ni négatives, elles font simplement leur job en nous renseignant sur les situations que nous vivons et comment nous les vivons. En revanche, nous les ressentons comme agréables ou désagréables. C’est par cette couleur affective (Plaisir/Déplaisir) qu’elles influencent nos décisions, bonnes ou mauvaises, et provoquent nos réactions comportementales.

Il existe quelques grands registres émotionnels. Savoir nommer ce que nous ressentons nous aide à mieux décrypter le message et à vider parfois le trop plein émotionnel. 

Les mots servent aussi à nuancer le niveau d’intensité des émotions qui nous traversent. En ce sens, ce lexique à propos de nos ressentis est utile et précieux pour mettre le doigt plus précisément sur ce que nous vivons.

Ci-dessous un tableau non exhaustif de termes qui sont généralement associés aux différents registres émotionnels. 

 ATTRACTIONPLAISIR ET JOIESURPRISEPEURTRISTESSECOLÈREDÉGOÛT
Intéressé
Curieux
Désireux
Motivé
Attiré
Séduit
Charmé
Emballé
Captivé
Passionné
Enthousiaste
Fasciné 
Envieux
Excité
Avide
Déterminé
… 
Satisfait
Soulagé
Détendu
Serein
Paisible
Confiant
Fier
Accompli
Comblé
Épanoui
Rayonnant
Amusé
Content
Joyeux
Ravi
Réjoui
Reconnaissant
Enchanté
Hilare
Exulte
Optimiste
Enthousiaste
Exalté 
Enivré
Euphorique
Béat
En extase
Heureux
Étonné
Surpris
Stupéfait
Saisi
Frappé
Décontenancé
Déconcerté
Gêné
Embarrassé
Médusé
Ébahi
Déboussolé
Interloqué
Sidéré
Confus
Consterné
Abasourdi
Estomaqué
Époustouflé
Bouche bée
Épaté
Émerveillé
Appréhende
Incertain
Nerveux
Soucieux
Inquiet
Insécure
Méfiant
Craintif
Apeuré
Vulnérable
Anxieux
Angoissé
Effrayé
En panique
En détresse
Terrifié
Terrorisé
Épouvanté
Phobie
Déçu
Navré
Chagriné
Peiné
Affecté
Triste
Attristé
Affligé
Mélancolique
Nostalgique
Morose
Maussade
Ennui
Accablé
Abattu
Fatigué
Vidé
Apathique
Impuissant
Malheureux
Déchiré
Dépité
Bouleversé
Découragé
Démoralisé
Désenchanté
Désemparé
Désabusé
Déprimé
Désespéré
Anéanti
Frustré
Contrarié
Mécontent
Agacé
Irrité
Fâché
Froissé
Vexé
Marre de…
En colère
Exaspéré
Amer
Hostile
Rancunier
Revanchard
Révolté
Indigné
Scandalisé
Furieux
Hargneux
En rogne
En rage
Haineux
Amer
Dégoûté
Ecœuré
Répugné
Révulsé
Répulsion
Aversion
Exécration
Nausée
Allergique
Toxique

Les émotions sont fugaces, elles durent de quelques instants à quelques minutes. Ce sont des états internes constitués de sensations qui nous poussent à réagir rapidement pour retrouver l’équilibre.

Quand les ressentis sont de plus longue durée, qu’ils influencent durablement notre humeur, on parle alors plutôt de « sentiments », qui peuvent être composés d’un mélange d’émotions. Les mots proposés dans le tableau ci-dessus sont en lien avec des émotions et des sentiments.

Le sentiment est une construction cognitive complexe, qui associe les sensations émotionnelles aux représentations mentales, aux interprétations, à la mémoire des expériences passées et aux attentes envers le futur… 

La culpabilité par exemple est davantage un sentiment qu’une émotion. Se sentir coupable est un mélange entre la peur de désobéir à une règle établie, le désir de le faire quand même et la colère contre cette règle ou contre soi-même. Ce sentiment peut nous accompagner longtemps. La nostalgie est un mélange entre la joie de se remémorer de bons souvenirs et la tristesse liée à la perte de quelque chose qui n’existe plus.

3- Pilotage automatique ou pilotage manuel de nos émotions?

Les schémas ci-dessous représentent deux circuits de réactions émotionnelles, l’un spontané, automatique (système limbique) en 3 étapes ; l’autre plus maîtrisé, plus contrôlé (système limbique + néocortex préfrontal) avec quelques étapes supplémentaires. 

La réaction « automatique »

Quand nos émotions sont en « pilotage automatique », le processus est alors réduit à 3 étapes, qui s’enchaînent de manière quasi instantanée : 

  • Nous percevons un évènement, consciemment ou pas ;
  • Nous ressentons quelque chose ;
  • Nous réagissons dans l’instant. 

C’est le cas par exemple lorsque nous percevons un danger imminent (un serpent sur le chemin, un bébé en train de tomber de sa chaise, etc.). 

C’est un câblage d’origine de notre cerveau, façonné par des milliers d’années d’existence de notre espèce dans des milieux souvent hostiles. Ce circuit rapide en 3 étapes nous a ainsi permis de nous adapter et de survivre à toutes sortes de dangers.

schéma de l'émotion en réaction automatique

A présent, nos sociétés et nos modes de communication se sont complexifiés. La réaction automatique est bien sûr toujours très utile pour éviter certains dangers, mais elle peut aussi s’avérer complètement inadaptée dans des situations sociales et professionnelles qui demandent davantage de nuances dans nos attitudes. 

Si nous continuons à « vivre » nos émotions, à les ressentir sans chercher à les nier ou les bloquer, nous apprenons aussi à mieux les gérer et surtout à maitriser nos réactions comportementales.

Il faut donc passer en mode « pilotage manuel » et activer des étapes complémentaires, qui font intervenir une autre partie de notre cerveau : le néocortex préfrontal.

La réaction « corticale »

schéma des émotions en réaction corticale

L’étape 5 est celle qui permet de progresser dans notre maitrise du processus. Nous apprenons au fur et à mesure de nos expériences, nous reconnaissons de mieux en mieux nos émotions, nous repérons nos déclencheurs, nous pouvons davantage nous en protéger, nous comprenons quels besoins-clés sont en jeu et comment les combler, nous choisissons nos réactions comportementales de manière plus libre, plus consciente…

4- Les émotions nous renseignent sur nos besoins

Voici une grande partie du code secret des émotions. 

Le cortège de sensations qui constitue une émotion est un message corporel, analogique et très puissant qui nous indique ce qui est essentiel pour nous. A chaque registre émotionnel correspond un type de besoin. 

Comprendre le besoin derrière l’émotion est la clé pour ensuite trouver les réactions comportementales les plus adaptées.

Voici quelques exemples de liens entre les émotions et les besoins :

Lorsque nous ressentons…Nous avons généralement besoin…
… du plaisir. … d’en profiter, que ça continue, que ça recommence.
… de la souffrance.… d’être soulagé, que ça s’arrête au plus vite, de supprimer la cause de cette souffrance.
… de la joie.… de la partager, de la communiquer, de l’exprimer.
… de la tristesse.… de combler le manque ou la perte qui nous rend triste.
… de la déception.… d’ajuster nos attentes à la réalité.
… de l’étonnement.… de comprendre, d’avoir des réponses.
… de l’injustice.… d’obtenir réparation, de restaurer notre image, notre dignité.
… désemparé, démuni.… d’avoir accès à plus d’options, plus de choix, de récupérer du contrôle sur les évènements, sur notre vie ; de retrouver du sens.
… de la colère.… d’accéder à ce qui est derrière l’obstacle (objet du désir, respect de notre intégrité ou de nos limites, reconnaissance…) ; de dépasser ce qui nous en empêche ; de retrouver de la liberté d’action, de l’autonomie de décision.
… de la peur.… d’être rassuré, de se protéger, de se sentir en sécurité.
… du désespoir.… de pouvoir à nouveau nous projeter vers un futur possible.
Pour approfondir la notion de « besoin » en situation professionnelle, voir l’article dédié sur notre blog ici.

5- L’écoute active comme un cadeau !

L’un des procédés les plus efficaces pour faire émerger les émotions et les besoins est l’écoute active. Basée sur l’empathie, elle permet de refléter la communication de l’autre. A partir de méthodes progressives de reformulation, elle l’aide à verbaliser et clarifier ce qu’il pense et ressent. L’écoute suscite la prise de conscience et apaise les émotions en les reconnaissant et en participant à leur expression. Ecouter et/ou être écouté permet de mettre des mots sur les ressentis.

L’écoute active est utilisée lors de relations d’aide ou pour la résolution de conflits collaboratifs.

nuage de mots autour de l'écoute active

Savoir décrypter le langage des émotions, comprendre leur message, distinguer leur mode d’expression à travers les mots, les intonations de voix ou les attitudes corporelles… sont des habiletés comportementales essentielles pour atteindre un niveau d’excellence dans la communication. 

Les émotions ne sont pas juste de vagues sensations qui parfois embrument notre raison, elles sont la clé pour mieux se connaître, mieux se comprendre et développer des relations plus authentiques avec nous-mêmes et avec les autres.

Photo Andrea Piacquadio / Pexels